LE GRAND ORGUE DE LA CATHEDRALE SAINT SPIRE
DE CORBEIL-ESSONNES
Essonne
DE L’INVENTAIRE DES ORGUES DE LA SEINE-ET-MARNE ET DE L’ESSONNE
(Tome II)
Inventaire réalisé sous la direction
de
PIERRE DUMOULIN
Paris
AUX AMATEURS DE LIVRES
1991
Après étude des devis, l’orgue est finalement commandé à Merklin, le 30 Octobre 1878 … Les travaux doivent être terminés pour le 15 avril 1879.
COMPOSITION DE L’ORGUE MERKLIN
GRAND-ORGUE (56 notes, 10 jeux)
Bourdon 16’ Prestant 4’
Principal 8’ Quinte-Flûte 2’ 2/3
Bourdon 8’ Fourniture
Flûte harmonique 8’ Trompette 8’
Salicional 8’ Clairon 4’
RÉCIT EXPRESSIF (56 notes, 8 jeux)
Viole de Gambe 8’ Flageolet 2’
Voix céleste 8’ Trompette 8’ (harmonique)
Flûte traversière 8’ Basson-Hautbois 8’
Flûte octaviante 4’ Voix humaine 8’
PEDALE (27 notes, 4 jeux)
Soubasse 16’ Bourdon 8’
Octave basse 8’ Flûte 4’
Tirasses, accouplement, expression, trémolo : en tout, 7 pédales de combinaisons.
La nouvelle soufflerie est à réservoir rectangulaire horizontal, alimenté par des pompes alternatives actionnées au pied; un régulateur particulier alimente le Récit. La traction est mécanique, sans assistance pneumatique.
A l'occasion de cette reconstruction, la tribune est refaite sur les plans de M. Laroche, architecte à Corbeil.
Le grand buffet est, lui aussi, quelque peu transformé: les montants extérieurs des grandes tourelles sont prolongés jusqu’au sol de la tribune, afin de loger la charpente de l'instrument ainsi que le grand réservoir. Ceci réduisit l’élancement dû à l’encorbellement des hautes tourelles. Le soubassement voit alors disparaître ses panneaux à grands cadres au profit de jalousies expressives. L’architecte, enfin, coiffe la petite tourelle d'axe d’un énorme cadran d'horloge, davantage propre à égayer un hall de gare qu’à agrémenter ce buffet, encore et malgré tout, si élégant.
Les experts chargés de suivre cette reconstruction étaient MM. Charles Vervoitte, inspecteur de musique dans les maîtrises et les écoles normales de France, et Auguste Bazille, organiste à Sainte-Elisabeth du Temple, à Paris, associé à Eugène Gigout, le célèbre organiste de Saint-Augustin. Reçu le 20 mai 1880, le nouvel orgue fut inauguré par Eugène Gigout le 20 juin suivant.
Dans les années 1970, l'orgue de Merklin est, à nouveau, à bout de souffle. Peut-être a-t-il même été transformé et défiguré, depuis son inauguration par Gigout... Le Père Potier, curé archiprêtre de Saint-Spire, demande à M. Müller, facteur de Croissy-sur-Seine, d’établir un bilan. Selon ses dires, l'orgue est irréparable…
Prévoyant une nouvelle et très importante reconstruction, les responsables imaginèrent de profiter de ces travaux nécessaires pour terminer la réhabilitation de la nef, entreprise dans les années qui suivirent la guerre. Il fut envisagé de reculer l'ensemble de l'instrument derrière le grand arc en ogive qui sépare la nef du clocher-porche.
Consulté à titre d'expert-acousticien, le professeur Émile Leipp, directeur du Laboratoire d’Acoustique musicale de l’Université Paris VI-Jussieu, déconseille formellement cette solution car, dit-il, «il est certain qu'en transférant l’instrument dans le clocher, la qualité musicale de l’ensemble orgue-salle sera très détériorée »[1].
Conjointement, le projet est repris par la municipalité, propriétaire de l'orgue. Une composition nouvelle est établie par la commission des orgues non classés siégeant à la Direction de la Musique au Ministère de la Culture (rapporteur: Me Gaston Litaize).
Le programme définitif vise à reconstruire un orgue de 28 jeux répartis sur 4 claviers de 56 notes et un pédalier de 30 touches.
La tuyauterie et les mécanismes doivent être entièrement contenus dans le buffet ancien, restauré et remis à ses dimensions d'origine.
Une tribune neuve, légèrement abaissée par rapport à la précédente, devra recevoir l'instrument reconstruit. Outre la totalité des mécanismes et de l'alimentation, 15 jeux seront neufs, tandis que 13 autres seront utilisés après restauration et transformation.
Le marché est passé par la Ville de Corbeil le 23 février 1981, pour une dépense de 776.748 francs (T.T.C.).
Le facteur attributaire du marché est M. Erwin Müller. La somme ci-dessus ne comprend pas les travaux effectués sur le buffet et la tribune, contrôlés par M. Delaunay, architecte du bâtiment.
Retardés par certaines contraintes architecturales - l'édifice avait, en effet, été entièrement restauré pendant ce temps - les travaux ont pris fin au cours de l'automne 1983. La réception a eu lieu le 20 février 1984. L'orgue a été solennellement inauguré par Maître Gaston Litaize, le 12 octobre 1984.
EMPLACEMENT
Sur une tribune entièrement neuve, légèrement abaissée et confortée par deux colonnes métalliques gainées, placée
« en partie dans œuvre du clocher,
et en partie dans la nef de ladicte église»,
ainsi-que le stipulait le contrat de 1657. Précisons toutefois que les lambourdes sont, aujourd'hui, métalliques (IPN) !
BUFFET
C'est, encore aujourd'hui, le très beau buffet érigé par Germain Pillon en 1657-1658 (Positif et soubassement du Grand-Orgue) et terminé par Nicolas Rimbert, en 1659 (parties hautes du Grand-Orgue). Entièrement construit en cœur de chêne pour les parties anciennes, son allure générale s'inscrit bien dans le schéma parisien de l'époque et rappelle fortement - la somptuosité en moins – l’admirable buffet de l'orgue de Saint- Etienne-du-Mont, à Paris, de 1631, dû à Jean Buron.
On y remarque le même plan inversé (Grand-Orgue en « V» ; Positif en «A») jusque dans certains détails comme les petites plates-faces supérieures du grand corps, garnies de petits tuyaux, tout comme à cet autre instrument construit aussi par Joly, à Magny-en-Vexin. L'ensemble a maintenant belle allure, surtout depuis que la dernière restauration a supprimé l’épouvantable verrue horlogère !...
Restauré par les «Charpentiers de Paris», on pourra regretter, cependant, que, d'une part, le chêne massif n'ait pas été systématiquement employé pour les côtés ainsi que pour le fond du buffet, et, d'autre part, que les tuyaux de la Montre, qui n'est pas ancienne, soient un peu «maigres» pour ce type de boiserie. Une simple comparaison avec celle de l'orgue de Nemours, par exemple, est suffisamment explicite sur ce point.
SOUFFLERIE
Ventilateur électrique 20 m3/min. à 120 mm de pression. Logé dans le soubassement, il n'est pas, hélas, absolument silencieux comme le précisait le devis: un de plus !...
Porte-vents en tube «Westaflex», boîte à rideau en latté, réservoirs en latté à «table flottante» pour faibles pressions (dit aussi système «à plongeur»); postages aussi en « Westaflex ». Pressions : 65 à 70 mm aux sommiers. Il faut noter, au sujet de cette alimentation, que les membranes des réservoirs ainsi que celles des anti-secousses, sont confectionnées en « Bulgomme », matériau tout à fait inadapté à cet usage et indigne d'un facteur d’orgues.
SOMMIERS
Cinq sommiers neufs, dont deux en deux parties et trois en une seule partie, à gravures et registres coulissants (Müller, 1984): ceintures en latté doublé chêne, barrages en latte, tables en chêne, registres, faux-registres et chapes en chêne, faux-sommiers en contreplaqué, pilotes en tube plastique. Ressorts, pointes-guide et fils de tirage en acier inoxydable, boursettes en nylon. Anti secousses à table flottante sur ressorts à lames («ventres») sous les sommiers. Là aussi, du « Bulgomme » a été employé pour les membranes.
La répartition des sommiers est la suivante :
- Positif : 1 sommier de 56 notes,
- Grand-Orgue : 1 sommier en deux parties, aigus au centre, de 56 notes,
- Récit : 1 sommier de 37 notes, diatonique,
- Écho : 1 sommier de 32 notes, chromatique,
- Pédale : 1 sommier de 30 notes, en deux parties.
CLAVIERS
Console en fenêtre, neuve, comportant 4 claviers manuels de 56 touches et un pédalier à l’allemande incurvé de 30 marches.
Ordre des claviers à la console, de bas en haut :
I - Positif II - Grand-Orgue III – Récit IV - Écho
Les touches sont en épicéa sur quartier, plaquées d’os pour les naturelles, les dièses en ébène ; châssis de clavier en chêne massif, pointes en acier.
TRANSMISSION
Mécanique des notes: traction par mécanique à balanciers, barres d’équerres, abrégés en acier sur panneaux en latte, vergettes et pilotes en spruce, réglage par écrous métalliques à vis-pointeau. Châssis d’accouplement et des tirasses en acier étiré et brasé, commandes par rouleaux en acier, articulations par rotules.
Tirage des jeux : double commande, mécanique et électrique.
- à la console: tirants en chêne de section carrée à pommeaux tournés en bois fruitier, disposés en quinconce sur les montants en chêne de la fenêtre (course: environ 10 cm)
- dans le soubassement: tirants carrés en chêne, pilotes tournants octogonaux en sipo à bras en acier cadmié-chromaté, réglage de la course des registres.
- Tirage électrique : moteurs de tirage « Heuss », type DSP 101 - 42 Volts. Armoire électrique placée dans le soubassement, à droite de l’orgue.
COMPOSITION
A l’exécution, des divergences sont apparues par rapport au projet initial, particulièrement en ce qui concerne la réutilisation de jeux ou parties de jeux anciens. Dans le tableau suivant, la lettre « M » indique les jeux entièrement neufs, la lettre « A », les jeux récupérés (pas obligatoirement en provenance de cet orgue, d’ailleurs).
POSITIF
Bourdon 8’ (A + M) Tierce 1’ 3/5 (M)
Prestant 4’ (A + M) Larigot 1’ 1/3 (M)
Nasard 2’ 2/3 (A + M) Plein-jeu IV rgs (M)
Quarte 2’ (M) Cromorne 8’ (M)
GRAND-ORGUE
Bourdon 16’ (A) Plein-jeu IV rgs( M) Montre 8’ (A + M) Cymbale III rgs (M)
Bourdon 8’ (A) Cornet V rgs (A)
Prestant 4’ (A) Trompette 8’ (A)
Flûte 4’ (A + M) Clairon 4’ (A)
Doublette 2’ (A + M) Voix humaine 8’ (A)
RECIT
Cornet V rgs (M) Trompette 8’ (A)
Hautbois 8’ (M)
ECHO
Cornet V rgs (M)
PEDALE
Soubasse 16’ (M) Bombarde 16’ (A + M)
Bourdon 8’ (A + M)
Flûte 4’ (A + M)
Tirasse G-0, tirasse Pos. , accouplement G-O/Pos. , appel Anches G-O , appel Anche Pédale (commandes actionnées par cuillères au pied).
A noter qu’il n'y a pas de tremblant dans cet orgue.
TUYAUTERIE
Comme l'indique le tableau ci-dessus, l’instrument contient un fort pourcentage de tuyauterie de récupération, généralement de l’ancien Merklin. Ces tuyaux ont été adaptés avec plus ou moins de bonheur, à leur nouvelle destination. Cette attitude, assez fréquente, avait pour objectif de diminuer le coût de la reconstruction, ce qui peut se comprendre…
Que cette tuyauterie soit neuve ou de récupération, elle est généralement correctement travaillée. On peut regretter - eu égard à l’esthétique classique française de cet orgue- que les bourdons en métal n'aient pas été réalisés « à calottes soudées », bien que l'ensemble des jeux à bouche ait été coupé au ton. On regrettera surtout la nécessité devant laquelle s'est retrouvé le facteur de recomposer des jeux cohérents avec des tuyaux préexistants. Ainsi, certains jeux sont-ils constitués de tuyaux dont le métal diffère sensiblement des alliages classiques recommandés (par exemple, le Cornet du Grand Orgue est en étain riche au lieu d’étoffe, les Bourdons 8’ du Positif et de la Pédale, aussi en étain riche, proviennent, respectivement, de l’ancienne Flûte traversière du Récit et de la Flûte harmonique du Grand-Orgue, la Flûte 4’ du Grand-Orgue est un réemploi de la Gambe du Récit, elle aussi trop riche en étain...).
Les pavillons des jeux d’anches ont été, généralement conservés, alors que rigoles, languettes et rasettes étaient refaites dans l'esprit classique. L'adaptation n’est pas toujours idéale entre ces pavillons romantiques et ces anches classiques. Là aussi, il est regrettable que la première octave de la Bombarde (acoustique) soit constituée de 12 tuyaux neufs à pavillons en cuivre. Encore cet orgue a-t-il failli posséder un Cromorne en laiton ! Celui-ci a, finalement, été réalisé en étain.
HARMONIE
Réalisée par M. Adrien Maciet, pour le compte des Ets Müller.
Tempérament égal ; diapason à 440 Hz pour le LA3 à 15°C.
GÉNÉRAL
Cinq ans après son inauguration, cet orgue fonctionne d'une manière satisfaisante, malgré la persistance du bruit résiduel du ventilateur. Il est maintenant régulièrement entretenu par M. Adrien Maciet. Une étude est actuellement menée par le service d'architecture de la ville, afin de trouver une solution aux problèmes posés par les brusques variations de température et d'hygrométrie que subit l'édifice. Un enregistrement continu de ces données a été réalisé.
UTILISATION
L'usage cultuel est assuré par un organiste titulaire et plusieurs suppléants ; la classe d'orgue du Conservatoire municipal de musique utilise aussi l’instrument sous la responsabilité d’un professeur d’orgue.
BIOGRAPHIE
Creuzet Émile : «Les grandes orgues de l'église Saint-Spire de Corbeil », in L’Abeille de Seine-et-Oise du 15 juin 1924. Important article, très complet, lu à la Conférence des Sociétés savantes de Seine-et-Oise, le 30 mai 1924, à Mantes, et auquel nous avons largement emprunté.
Creuzet Émile : « Les grandes orgues de l'église Saint-Spire de Corbeil », tiré à part de l'article précédent, avec corrections, imprimerie Crété, Corbeil, s.d. (1924). Document aimablement communiqué par les Archives départementales des Yvelines, sous la cote BR 756.
Raugel Félix : «Les anciens buffets d'orgues du pays de Hurepoix », in Bulletin de Ia Société historique et archéologique de Corbeil, Corbeil, 1962 (pp. 36-38).